Bien que notre quotidien soit de plus en plus numérisé, nous utilisons encore régulièrement des documents papier pouvant contenir des informations plus ou moins sensibles. Il se pose alors la question de leur destruction afin d’éviter que les informations ne tombent entre de mauvaises mains. Parce que oui, avec une copie de votre carte d’identité et quelques bulletins de salaire il est possible de transformer votre vie en enfer comme en atteste ce témoignage. Je vous propose donc de découvrir le monde merveilleux des destructeurs de documents.
Une histoire de normes #
Comme vous vous en doutez, tous les destructeurs ne se valent pas. Il existe en effet des coupe plus ou moins grosses qui peuvent être droites ou croisées. Cette finesse de coupe est ce qui garantit une destruction efficace. Le cas d’école en la matière est la crise des otages américains en Iran où, après l’attaque de l’ambassade des États-Unis à Téhéran, les forces Iraniennes ont reconstitué des documents qui avaient été détruits à l’aide d’un destructeur inapproprié.
Il est donc très important d’évaluer le niveau de sécurité de destruction d’un document. Pour cela, une première norme Allemande a été publiée en 1995, la DIN 32757. Elle initie ainsi la standardisation en proposant 5 niveaux de sécurité déclinés à différents supports. Afin de toujours mieux définir les choses, en 2012 cette première norme sera remplacée par la DIN 66399 qui va notamment redéfinir certains niveaux de sécurité, en ajouter deux et introduire la notion de classe de protection qui regroupe plusieurs niveaux de sécurité. Dans la mesure où il s’agit de normes Allemandes et que le besoin est en réalité mondial, en 2018 arrive la norme ISO/IEC 21964 qui n’est rien d’autre qu’un copier/coller de la DIN 66399.
Le point essentiel à retenir est ces normes définissent les capacités des destructeurs par des combinaison d’une lettre désignant le type de support (P pour papier, H pour les disques dur, E pour les SSD, clés USB, cartes SD, etc.) puis d’un chiffre désignant le niveau de sécurité. Ainsi, un destructeur affichant les mentions « P-3, O-4 » est capable de détruire du papier (P) avec un niveau de sécurité 3 et des CD/DVD (O) avec un niveau de sécurité 4. Pour la suite de l’article je ne m’attarderai que sur la destruction du papier.
Afin que vous épargner des nœuds au cerveau, voici la table de correspondance entre les niveaux de sécurité de la DIN 32757 et ceux de l’ISO/IEC 21964. Le symbole ± indique que les niveaux ne sont pas parfaitement identiques mais plus ou moins équivalents. J’y ai aussi indiqué les classe de protection bien que cette notion soit assez peu utile.
Niveau de sécurité DIN 32757:1995 |
Niveau de sécurité DIN 66399:2012 ISO/IEC 21964:2018 |
Classe de protection DIN 66399:2012 ISO/IEC 21964:2018 |
---|---|---|
1 | 1 | 1 |
2 | 2 | 1 |
± 3 | 3 | 1, 2 |
4 | 2, 3 | |
± 4 | 5 | 2, 3 |
± 5 | 6 | 3 |
7 | 3 |
Quel niveau de sécurité utiliser ? #
C’est bien joli de dire qu’il existe des niveaux de sécurité regroupés en classes de protection, mais ça n’aide absolument pas à savoir ce qu’il faut utiliser. Examinons donc ces niveaux de sécurité.
Tout d’abord, l’ISO/IEC 21964 nous dit clairement que les niveaux 1 et 2, les moins sécurisés, sont incompatibles avec la destructions de documents contenant des données personnelles. Ils sont donc à proscrire car totalement inutiles. Le niveau 3 n’est pas vraiment non plus sécurisé et je ne le recommande absolument pas.
Par exemple, d’après moi le document reconstitué par les Iraniens que l’on a vu plus haut semble avoir été détruit avec un destructeur P-3 à coupe droite. En effet, bien que les normes en la matière n’existaient pas à l’époque, on peut estimer la dimension des déchets de coupe afin d’en déduire le niveau de sécurité qu’aurai obtenu le destructeur. En l’espèce, il s’agit d’une coupe droite, donc forcément d’un niveau 1, 2 ou 3. De plus, la largeur des bandes d’un P-3 ne doit pas dépasser 2mm et il s’avère sur la photo que les bandes font approximativement la même largeur qu’une lettre de machine a écrire, donc a priori ça semble entrer dans cette limite des 2mm. Bref, n’utilisez vraiment pas ces niveaux de sécurité inefficaces.
Arrive donc le niveau 4 qui est le premier à être assez sérieux. Là vous avez quelque chose qui tient bien la route mais n’est cependant pas capable de détruire les documents ayant une sensibilité particulièrement importante. C’est cependant adapté à l’immense majorité des situations.
Vient ensuite le niveau 5 qui est de loin mon préféré car extrêmement polyvalent. En fait, vous pouvez l’utiliser pour détruire absolument tout sans vous poser de questions, sauf peut-être s’il s’agit d’un document couvert par le secret de la défense nationale (IGI 1300 et tout ce qui va avec).
Enfin, les niveaux 6 et 7 sont bien trop fins pour être sérieusement considérés en dehors d’environnements professionnels de très haute sécurité.
De cette courte analyse, on en déduit qu’il n’existe réellement que deux niveaux de sécurité à considérer : le 4 et le 5. Visiblement je ne suis pas le seul de cet avis car à l’heure de rédaction de cet article le site LDLC ne vend quasiment que des P-4 et des P-5.
La question du prix #
Si vous vous doutez bien que le niveau de sécurité va directement influer sur le prix du destructeur, vous serez sans doute surpris de constater que ce n’est pas le principal facteur de coût. En effet, ce qui fait le plus monter le prix d’un destructeur, c’est sa capacité de coupe. Plus il sera en mesure de couper un grand nombre de feuilles simultanément, plus il coûtera cher.
Pour illustrer ceci, voici les prix les plus bas et les plus hauts sur LDLC au moment de la rédaction de cet article. Le premier P-4 est à 69,95 € et le premier P-5 à 119,95 €, tandis que les plus chers sont à 3 265,59 € pour le P-4 et 4 428,05 € pour le P-5.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas opter pour un P-5 afin d’avoir l’esprit serein ? En vrai, ce qui peut vous faire choisir un P-4 plutôt qu’un P-5 sera probablement qu’en général, du fait de leur coupe plus grossière, les P-4 supportent souvent la présence d’agrafes ou d’attaches trombones, ce qui n’est souvent pas le cas des P-5. Vérifiez dont ce point avant l’achat si vous vous sentez concerné. Pour ma part, j’ai tout de même opté pour un P-5.
N’oublions pas l’entretien #
Un autre critère important à considérer est l’entretien du destructeur. Normalement il ne suffit que d’un peu d’huile de lubrification, les entretiens professionnels étant plutôt réservés aux destructeurs industriels tels que le Kobra Cyclone. Oui cette machine est probablement plus grande que vous, oui elle est littéralement capable de réduire du papier en poussière tellement fine qu’elle déclenche les détecteurs de fumées (expérience vécue, deux fois) et oui je l’adore.
Mais revenons en aux machines pour les gens normaux. Normalement, il ne suffit que d’un peu d’huile de lubrification de temps en temps et le tour est joué. Renseignez vous bien avant d’acheter votre destructeur car, si certains appareils ne nécessitent que des burettes de lubrifiant traditionnel, d’autres n’acceptent que des feuilles pré-lubrifiées qui ont la fâcheuse tendance de coûter assez cher.
Conseil d’ordre général #
Pour une utilisation personnelle ou pour une très petite entreprise, je recommanderai d’opter pour un petit P-5 d’entrée de gamme. En effet, sauf cas particulier, le besoin en destruction sera faible et le petit P-5 pourra absolument tout détruire sans soucis et sans que vous n’ayez à vous poser de questions. Pensez juste à bien enlever toute attache métallique avant de détruire. À titre personnel, j’ai opté pour le Rexel MC3 et un lot de feuilles pré-lubrifiées. J’en suis pleinement satisfait.
Pour les cas où les besoins sont plus importants, par exemple une PME, je recommanderai d’avoir deux destructeurs : un P-4 d’usage général relativement performant et un petit P-5 pour les documents les plus sensibles pouvant également prendre le relai en cas de panne du P-4. Si je devais acheter un tel P-4, je pense que je prendrai le Rexel Auto+ 150X qui est doté d’un chargeur automatique et digère sans soucis les agrafes et les attaches trombones de taille raisonnable. Attention cependant car il s’agit également d’un destructeur demandant des feuilles pré-lubrifiées.
L’astuce est de positionner le P-5 dans le bureau de la direction car c’est sans doute là qu’il y aura les documents les plus sensibles, mais aussi parce que ça dissuadera Jean-Claude d’y mette sa grosse liasse de papiers agrafés dedans, ce qui l’abîmerai.
Je souhaite également faire un point sur le malheureusement célèbre destructeur portatif Lidl à moins de 10 €. Bien entendu, à ce prix là ça ne peut pas être de la bonne qualité. Et effectivement, il dispose d’un niveau de sécurité P-2. Comme nous l’avons vu précédemment, il s’agit d’un niveau de sécurité tellement faible qu’il en est inutile. Par pitié, n’achetez pas cette chose. Lidl vend également un P-4 à moins de 30 €, alors pourquoi pas mais n’en attendez pas des merveilles non plus.
Gérer les déchets de coupe #
Pensez à vous renseigner sur la gestion des déchets avant d’utiliser un destructeur de documents. Certaines collectivités permettent de mettre les déchets recyclable dans des sacs spéciaux, ce qui est idéal pour les déchets de coupe. En revanche, d’autres collectivités demandent à mettre les déchets recyclables dans un bac tout en interdisant à la fois les déchets trop petits et l’utilisation de sacs. Dans ce dernier cas, l’usage du bac général est malheureusement la seule option.
Ne prenez pas ces indications d’ordre général comme la règle à appliquer à votre cas. À la place, contactez le service en charge de la gestion des déchets dans votre collectivité. Ils sauront vous indiquer comment faire, d’autant plus que ça peut varier en fonction de si vous êtes un particulier ou un professionnel.
Mise à jour du 12/05/2025 : merci à Guillaume qui m’a fait part de la précision suivante :
À savoir que les déchets provenant d’un destructeur de documents sont compostables (bien sûr, je parle de feuilles en papier/papier glacé, pas de feuilles plastifiées, ou si l’on y passe aussi des CD, cartes de crédit, etc.). La seule problématique à cela, c’est l’apport en carbone dans le compost, si l’on a un petit compost, il ne faut pas mettre des tonnes de papier broyé sous peine d’un apport trop fort en carbone principalement.
Également, dans certaines localités, les déchets provenant d’un destructeur de documents sont également compostés et bénéficient donc d’un ramassage spécifique (avec les déchets alimentaires, comme les épluchures de légumes, etc.).
La sécurité #
Je ne peux pas terminer ce billet sans faire un rappel au niveau de la sécurité lors de l’usage d’un destructeur de documents : il est strictement interdit d’utiliser ce genre d’engin lorsqu’on porte une cravate ou tout autre vêtement ou accessoire qui pourrait se prendre par inadvertance dans le dispositif de coupe.
Même sur les petits destructeurs il s’agit d’un mécanisme assez puissant qu’il ne faut pas sous-estimer. Ce n’est pas pour rien que la quasi-totalité de ces machines ont un pictogramme représentant une cravate barrée, il y a déjà eu des accidents. En environnement professionnel, pensez à l’ajouter au DUERP.